FISTON
Fiston, c'est ton grand frère. Regarde un peu comme il est beau !
Là,
il dort paisiblement dans sa chambre, à côté du bureau,
ce bureau qui doit devenir ta chambre. Il a déjà prévenu
: étant aux avant-postes, il se lèvera pour nous réveiller
s'il t'arrivait de pleurer la nuit... Du haut de ses 5 ans, cet enfant est un
modèle de gentillesse.
Une petite révolution se prépare pour lui dont il ne mesure pas encore tous les enjeux. Certes le statut de grand frère le remplit de fierté mais il va lui falloir en contrepartie abandonner celui d'enfant unique. Déjà depuis quelques semaines, comme s'il sentait une vague menace, il colle sans cesse Maya, éprouve le besoin de lui faire des bisous, de lui témoigner son attachement filial. Il cherche à affirmer sa place dans le cercle familial et éprouve nos réactions à ses comportements. J'aimerais ressentir ce que la perspective de ta venue lui inspire.
Si tu es une fille, il voudrait qu'on t'appelle Orange, drôle de prénom ! Il faut préciser qu'il s'agit là de sa couleur préférée. Mais pour le moment, il estime plus opportun d'avoir un petit frère afin de pouvoir partager ses jeux. Il se situe à un âge où "les" filles s'assimilent à une étrange espèce et n'inspirent en réalité pas grand chose de positif, hormis Sarah bien sûr, son amoureuse... Si tu es un garçon, le prénom de Nicolas lui plairait bien, c'est en tout cas ce qu'il nous a dit hier. D'ici ta naissance, cela a encore le temps d'évoluer.
Bien évidemment, cette actualité me renvoie quelques années en arrière lorsque nous étions dans l'attente du débarquement de Fiston. Ce fut sans nul doute l'un des plus merveilleux moments de nos existences, novices que nous étions en la matière, auscultant et guettant cet enfant tant désiré.
Je me rappelle comme si c'était hier, Maya m'appelant dans ce bureau où je me trouvais en rendez-vous, un certain 16 novembre 1994 vers midi moins le quart, pour m'annoncer qu'elle était enceinte, où j'avais dû refréner ma joie quelques heures durant mais que j'avais laissé éclater sitôt sorti. Je me rappelle des baignades dans les eaux tièdes du Lac de Biscarrosse, près duquel nous habitions, des soirées d'été à la terrasse d'un restaurant de Sanguinet, alors que Fiston ne se décidait pas à venir malgré la date théorique écoulée. Et puis son arrivée le 31 juillet 1995...
Ce que cet événement a suscité en moi, je serais bien en peine de le décrire tant les émotions furent d'une intensité remarquable. L'équipe médicale prodiguait à Maya les premiers soins qui suivent l'accouchement quand j'ai été invité à suivre la puéricultrice pour assister à la toilette du nourrisson. C'est ainsi que je me trouvai, porté par l'enchaînement des minutes, incapable d'esquisser la moindre analyse de ce qui arrivait, manifestant même probablement une certaine froideur vu de l'extérieur. J'observais la puéricultrice qui, avec des gestes sûrs et fermes, exécutait le protocole de la première toilette de ce petit corps plein de vie maladroite. J'avais l'impression d'être extérieur à la scène, d'y assister en simple spectateur, les sons et les images me parvenant avec un léger décalage, comme à travers une bulle. Je crois bien que mes jambes tremblaient, mon souffle était court. De son côté, Fiston me faisait l'effet d'un petit animal nouveau-né, aveuglé par la lumière ambiante, fébrile, à la recherche d'un sens à ce qui lui arrivait. Quand les soins furent terminés, la puéricultrice me demanda si je voulais le prendre dans mes bras et, joignant le geste à la parole, elle le souleva et l'approcha de moi. Tiré brusquement de mon état second, je paniquai ! N'allais-je pas mal le saisir ? N'allait-il pas être traumatisé de se retrouver dans de nouveaux bras alors qu'il n'aspirait qu'à retrouver la chaleur de Maya ?
Parce que je réalisai qu'il n'y avait pas d'autre issue, je tendis mes bras pour l'accueillir contre moi. Il était à peine plus lourd qu'un chaton et blottissait sa tête contre mon torse dans un réflexe de fouissement. Il était tout chaud comme un petit pain sorti du four. Je lui murmurai maladroitement quelques bonjours, posai mes lèvres contre ses cheveux humides et agglutinés et, ce fut à cet instant précis que la terre s'ouvrit sous mes pieds. Voilà donc à quoi ces quelque 15 millions de minutes de ma propre vie m'avaient mené ! Tout trouvait sa place et son sens dans le grand puzzle de la vie. Et quand je l'ai déposé peu après sur le ventre de Maya, je me suis effondré sans pouvoir endiguer ce paquet d'émotion qui crevait la surface.
Depuis cet instant, il n'est pas un jour où je ne me dise que la vie nous a fait un cadeau divin en nous apportant Fiston.
J'ignore encore qui tu es, qui tu seras, mais je suis d'ores et déjà certain que tu seras, comme ton frère, une source inépuisable de bonheur.